In the picture - Location scout & manager

Githa Hermans

Après avoir terminé ses études à l'académie des Beaux-Arts aux Pays-Bas, Githa Hermans, 21 ans, est partie aux Etats-Unis pour un programme d'échange. Par hasard, elle s'y est retrouvée dans une section cinéma et le ton de sa carrière a tout de suite été donné : ce serait le cinéma.

Githa : "À l'académie des Beaux-Arts aux Pays-Bas, on parlait beaucoup du cinéma flamand et c'est ainsi que je me suis retrouvée à Sint-Lukas à Bruxelles, à mon retour des Etats-Unis. Pendant ma licence, j'ai réalisé plusieurs courts-métrages qui ont été montrés entre autres aux festivals de Gand et d'Ostende. J'ai ensuite obtenu mon diplôme et je ne savais pas bien par où commencer. On ne parlait jamais vraiment de cela à l'école. J'ai travaillé dans un magasin de vêtements pendant un certain temps, j'ai souffert parce que je me sentais si loin de mes études. Ensuite, sur la plateforme du Ritcs, je suis tombée sur une offre d’emploi pour un assistant réalisateur. En fait, j'avais jusque là très peu d'expérience sur un plateau professionnel, à part un court stage chez Caviar. Je suis donc devenue du jour au lendemain assistante régisseuse pour la série ‘Amigo’s’ pendant six mois. Vous commencez donc tout en bas de l'échelle et vous êtes la personne qui bloque l’accès aux rues pendant le tournage, met la table pour les repas et veille aux zones de maquillage et de costumes. Celle qui apporte le café et nettoie les toilettes. Mais c’était pour moi un réel soulagement !"

"Un plateau de tournage à l'école n'est pas comparable à un plateau de tournage professionnel. Je n'avais jamais entendu parler du métier de régisseur général. Après 'Amigo's', j'ai eu l'opportunité de passer à la régie générale pour une série de la chaîne de télévision Ketnet. C’était parti pour moi. J'ai fait la connaissance de Jules Logistics. Il s'agit d'une société de location de matériel de tournage. Les propriétaires, Guy, Fre et Sofie, étaient eux-mêmes régisseurs."

"Après la série pour Ketnet, j'ai pu m’essayer au tournage du film 'Le passé devant nous' de Nathalie Teirlinck, à Bruxelles. C'était intense. Je pense que j’ai travaillé 20 heures par jour, mais j'en ai beaucoup appris. C'était à Bruxelles et en français. Je n'ai jamais refusé un projet, je suis donc passée d'un projet à l'autre. Je travaille sans arrêt depuis sept ans. Lorsque j'étais assistante régisseur pour une série à Bruxelles, j'ai commencé le repérage. J'ai aussi fait du repérage de lieux de tournage pour les séries 'Professor T' et 'Over Water' et j'ai découvert que j'aimais ça."

 Githa Hermans
© Githa Hermans

Pourquoi aimez-vous votre travail en tant que régisseuse générale et dans le repérage ?

Githa: "Le repérage est plus créatif, il faut réfléchir avec le réalisateur, le directeur artistique et le DOP, qui ont déjà leurs propres idées et un moodboard. Il faut partir à la recherche des lieux qu'ils ont en tête. C'est tout à fait hors de ma zone de confort car il faut constamment entrer en contact avec des inconnus. Parfois, il s'agit de sonner à la porte de gens qu’il faut convaincre, alors que je suis une personne assez timide. Vous entrez dans les maisons de parfaits inconnus avec votre appareil photo, c'est excitant parce qu’il faut briser la glace. Avec les entreprises, c’est autre chose. Je fais souvent d'abord une recherche en ligne, Google Images est une excellente source. On peut d'abord envoyer un e-mail à une entreprise et appeler ensuite. Je suis plus à l’aise avec ça."

"Pour donner un exemple, je viens de recevoir d'un directeur artistique des liens vers des appartements qui lui plaisent, je vais appeler cet après-midi pour voir si nous pourrions éventuellement les utiliser comme lieux de tournage. Convaincre les gens est devenu un peu plus difficile à cause du COVID. Cela a rendu mon travail de régisseuse un peu plus compliqué. Il y a des règles supplémentaires qui s’ajoutent aux précédentes. En termes de logistique, c'est désormais un défi de trouver les pièces appropriées pour le maquillage, le costume ou le lunch. Ces lieux doivent être suffisamment spacieux pour permettre à 80, voire 100 personnes de manger à distance les unes des autres. Il arrive que nous devions installer une tente de festival pour cela."

Quelle est pour vous la grande différence entre le repérage de lieux et le régisseur général ?

Githa: "Les deux se chevauchent un peu, même s'il s'agit de deux métiers distincts. Le repérage consiste en une visite esthétique de lieux au cours de laquelle le réalisateur, le directeur artistique et le cameraman choisissent le lieu qu'ils trouvent le plus intéressant. Le régisseur est réellement impliqué dans le processus plus tardivement. Habituellement, les lieux ont déjà été trouvés, et vous  commencez les préparatifs, comme la demande de permis, la prise de contacts, les accords pratiques. Lors des repérages techniques auxquels assistent les différents départements, vous pouvez facilement vous retrouver avec une délégation d'une douzaine ou d'une quinzaine de personnes. Cela demande toujours une certaine organisation et planification. Pour 'Beau Séjour' nous avons séjourné une semaine dans un hôtel sur la côte et nous avons visité des lieux tous les jours. Sur un tel plan de repérage, je suis occupée au moins une semaine. C'est tout un puzzle qu'il faut reconstituer."

"Le régisseur général reçoit beaucoup d'informations à traiter. Ou bien vous recevez des demandes du genre: “Avons-nous la permission de mettre une lampe sur une lucarne en verre ?”, ou encore “Cette rue doit être fermée pendant l'enregistrement”. On les inclut ensuite dans les demandes de permis. Le directeur artistique pose également des questions particulières, par exemple : “Pouvons-nous peindre ce mur ?” En tant que régisseuse, je suis l'intermédiaire entre le lieu et l'équipe de tournage."

"Une équipe de tournage est en réalité une sorte de bulle qui vit dans son propre monde. Le régisseur, avec la production, est la seule personne qui communique avec le monde extérieur. Les questions, parfois bizarres, ne sont pas toujours si évidentes. Une fois, l'ingénieur du son m'a demandé très sérieusement de fermer l’accès d’une place entière à Bruxelles. C’est cela que je trouve le plus difficile, que les gens pensent que tout est facile. Cela me prend parfois des mois pour résoudre un problème. En pratique, il arrive très souvent que des lieux supplémentaires doivent être trouvés avant les jours de tournage, en très peu de temps. La question la plus folle que j'aie jamais reçue : “Peux-tu fermer cet aéroport pendant trois jours ?"

ghita

Quelle est la partie la plus ardue de votre travail?

Githa: "Je ressens beaucoup d'énergie quand quelque chose fonctionne. Nous avons tourné l'année dernière à l'aéroport de Deurne, près d’Anvers, pour la série de Netflix 'Into the night', avec un directeur de la photographie américain et un réalisateur français. C'était énorme. Il s'agissait d'un détournement d'avion qui a lieu dans un pays scandinave où il est supposé neiger. Nous avons pu nous arranger pour tourner pendant trois nuits lorsque l'aéroport était fermé. En très peu de temps, nous avons pulvérisé de la neige, fait venir un Boeing spécialement de Londres... C'était la première fois que mon travail était aussi important. Je travaille souvent seule pour des projets flamands et je ne suis pas toujours aidée. Heureusement, j'avais un assistant pour cette production. Pourtant, il m'a fallu des mois pour me préparer. J’étais entièrement seule sur "Beau séjour". Travailler avec un assistant dépend donc principalement du budget."

"L'essentiel, est que c'est un travail très difficile. Pour 'Beau Séjour', je me suis procuré une locomotive de train le dernier jour, après 110 jours de tournage. A la fin de la série, un accident de train a lieu. J'ai ensuite été autorisée à m'asseoir dans la locomotive avec un talkie-walkie et c'était une belle fin. Tout avait bien fonctionné ! Nous avons également travaillé très étroitement avec la Navy pour la série et je me suis liée d’amitié avec des gens qui y travaillent. Une base navale est hautement sécurisée, c'était donc spécial que nous ayons été autorisés à y tourner tous les jours. C'est ce que j'aime dans mon travail. Vous vous retrouvez soudain dans un nouveau monde dont vous ne savez rien. Vous apprenez à connaître beaucoup de nouvelles personnes, et vous apprenez également à appréhender un nouveau contexte. Par exemple, pour la série 'Over water', j'ai fait connaissance avec le port d'Anvers grâce à Katoen Natie. Ils m'ont alors beaucoup aidée. Il faut être capable de gérer le fait qu'il y a toujours des incertitudes. Parfois, vous vous retrouvez dans des endroits où vous ne vous sentez pas toujours en sécurité. La nuit par exemple. Dans ce cas, c'est bien de ne pas être seule."

Mais il est encore difficile de faire comprendre l'importance de l'impact d'un tournage, car les gens le sous-estiment souvent

Githa Hermans

Y a-t-il des aspects particuliers concernant la sécurité dont vous devez tenir compte ?

Githa: "Il y a la sécurité des lieux en eux-mêmes. Si vous filmez dans une villa fragile, nous devons assurer sa protection. Les sols doivent être recouverts d'un matériau de protection, mais aussi les montants des portes, les effets personnels des personnes qui y vivent, et d'autres choses encore. Nous signons toujours les contrats et la description des lieux à l'avance. Dans le cas où il y aurait des dégâts, ce sont des questions importantes. Après tout, nous sommes des invités dans un tel endroit, mais quelque 30 ou 40 personnes y sont en visite. C'est tout un cirque. C'est pourquoi nous discutons de manière très approfondie avec les personnes qui y habitent sur ce que nous allons faire exactement. Ce qui va être changé ou quel mur va être peint, par exemple. Le directeur artistique fournit généralement un document dans lequel figure exactement ce qui va se passer."

"Le travail est aussi largement administratif. Pensez aux permis, aux contrats ou aux assurances. En outre, vos langues sont importantes car vous recherchez des sites dans tout le pays. Mon français est assez bon, mais j'ai parfois besoin de l'aide d'un assistant pour demander des permis en français. Les différentes cellules cinématographiques dans des villes comme Bruxelles, Anvers et Gand vous aident principalement à obtenir ces autorisations, mais pas tellement à effectuer les repérages eux-mêmes. La ville d'Anvers est bien organisée à cet égard. La police, les services municipaux, la communication entre les services fonctionne très bien. Aux Pays-Bas, vous pouvez consulter le site Creatief leegstandsbeheer pour trouver des emplacements. C'est très bien organisé là bas. La gestion des emplacements vacants pour les créatifs n'en est encore qu'à ses balbutiements ici en Belgique, si l'on compare avec eux, mais je reçois aussi régulièrement des joyaux d'emplacements en Belgique."

"En termes de sécurité, je pense naturellement à la sécurité de l'équipe. C'est pourquoi j'ai mis quelques points d'attention sur la feuille de route. Ne laissez rien ouvert, verrouillez vos voitures, portez des gilets jaunes la nuit, ce genre de choses. Entre les jours de tournage, nous assurons également une sécurité supplémentaire pour les camions transportant du matériel grâce à un parking sécurisé. La feuille de route contient également toutes les informations logistiques, les adresses, un plan et l'emplacement pour le maquillage et les costumes. Pour une série Netflix, j'ai également dû remplir une évaluation des risques. Je dois donc réfléchir à l'avance aux dangers d'un lieu."

"Supposons que vous filmez la criée aux poissons. Vous ne pouvez pas fermer ce lieu. Tout d’abord, il n'y a pas non plus d'argent pour le demander. Ensuite, nous devons nous adapter à la situation et au planning de l'entreprise. C'est amusant de reconstituer le puzzle. Il te faut quand même aussi un certain pouvoir de persuasion. Je suis toujours aussi honnête que possible et j'essaie d'expliquer exactement ce que nous sommes venus faire. Mais il est encore difficile de faire comprendre l'importance de l'impact d'un tournage, car les gens le sous-estiment souvent."

© Toon Aerts
© Toon Aerts

À quoi prêtez-vous une attention particulière lors de l'analyse du scénario ?

Githa: "Quand je fais les repérages, je cherche spécifiquement les endroits qui sont nécessaires et j'essaie aussi de penser déjà plus loin. Dans ma tête, je vois déjà ce qui doit être fait. C'est peut-être parce que j'ai déjà beaucoup d'expériences de tournage. Si, par exemple, nous allons filmer dans un appartement situé en bordure de rue, il y aura du bruit ou quelque chose de visible qui devra disparaître, comme les voitures garées. Je pense déjà aux rues à fermer et aux endroits où garer nos camions. En fait, j'essaie de visualiser le film pendant le déroulement d’un scénario. Si je ne travaille qu'en tant que responsable des lieux, je regarde les photos ou je passe pour prendre des rendez-vous. Normalement, vous recueillez toutes ces informations lors du technical-recce. Ma formation de réalisatrice m'aide également. Et aussi, le fait que j'ai été impliqué dans le cinéma dès mon plus jeune âge. Mon père était cameraman, alors peut-être que cela joue aussi un rôle. Le fait que je puisse rapidement jouer des scénarios dans ma tête et anticiper. J'essaie alors de tout écarter pour que personne n'ait à y penser lui-même."

Comment restez-vous à la pointe de vos connaissances et qu'est-ce que vous trouvez important dans ce domaine ? 

Githa: "On apprend en faisant, je trouve. Chaque projet est nouveau. Je pars toujours de zéro, car on se retrouve toujours dans de nouveaux univers. Quand je pense à ce que j'ai appris à l'école, j'ai appris très peu dans le domaine du repérage ou de la gestion des lieux. J'ai moi-même commencé au bas de l'échelle, c'est moi qui bloquais les rues pendant douze heures. Ce n'est pas drôle, mais c'est là où nous commençons tous."

Qu'est-ce qui est parfois sous-estimé dans votre travail ? 

Githa: "À quel point ce travail est difficile. Le stress qui en découle, les longues journées. Ça retire quelque chose de ton corps. Vous êtes le premier sur le plateau et le dernier à rentrer chez vous. J'essaie de réguler cela de mieux en mieux. Quand j'ai commencé, je ne me souciais pas de tout ça. J'étais heureuse d'avoir autant de travail et je restais aussi longtemps que nécessaire. Bien trop longtemps, souvent. Mais il est difficile de trouver l'équilibre entre garder le rythme et garder la qualité de son travail. Je suis perfectionniste à cet égard, je veille à ce que mon travail soit bien organisé. Maintenant, je commence à le sentir un peu." 

© Githa Hermans
© Githa Hermans

Alors que faites-vous pour vous-même afin de mieux préserver cet équilibre ?

Githa: "Un assistant aide déjà. C'est quelqu'un qui peut prendre en charge certaines choses. Par exemple, je ne participe plus toujours aux tournages de nuit. De toute façon, vous ne pouvez pas faire d'arrangements ou appeler les gens la nuit. Mais auparavant j'avais l'habitude de le faire. Je recevais un appel de la police le matin parce que des voitures étaient garées illégalement, ce qui implique que vos nuits sont très courtes. Chaque jour, des circonstances imprévues peuvent se produire, il faut donc toujours être flexible."

Quelles sont les compétences importantes pour l'emploi que vous occupez ? 

Githa: "Ce qui est important, c'est l'enthousiasme et la capacité à bien gérer les revers. Il faut que cela vous convienne, en restant toujours flexible et positif. Il faut arriver à être encore amical après seize heures sur un plateau. Vous devez être orienté vers les solutions et être capable de gérer le stress. Ça aide si vous arrivez à mettre les choses en perspective. Mais osez aussi choisir pour vous-même, garder votre équilibre et planifier votre repos. Vous devez trouver votre propre manière pour tenir dans la durée. Au cours de ce processus, vous apprenez également des choses techniques. Il faut s'y connaître en électricité, par exemple, ou en travail en hauteur ou en bornes. Des choses qui sont difficiles à apprendre dans une salle de classe. C'est pourquoi les stages en entreprise sont si importants." 

© Githa Hermans
© Githa Hermans

Que recommandez-vous aux jeunes diplômés ?

Githa: "Qu'ils fassent certainement un stage en tant qu'assistant régisseur. Tout le monde veut être régisseur tout de suite, mais ce n'est pas réaliste. Les gens ont parfois des talents dans d'autres domaines également. Peut-être que quelqu'un convient pour le son ou la lumière, par exemple comme grip ou assistant caméra. C'est l'un des avantages de la direction de régie, si vous voulez connaître le plateau, vous devez apprendre toutes les facettes du film. Et si vous travaillez dur, vous serez vite sélectionné."

Conseils de Githa

  • Google est votre ami : le plus grand moteur de recherche et les photos Google vous aideront dans votre démarche.
  • Comptes Insta que je consulte régulièrement : beaucoup de comptes de design et d'architecture et de photographes comme Alexander Dumarey qui photographie beaucoup de bâtiments vides.

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