FRANGINE$, la nouvelle série belge

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Julien Charpentier et Laurent Dryon ont co-fondé ensemble Girafeo, une société belge de créations audiovisuelles et de storytelling, basée à Bruxelles. En duo, ils réalisent principalement des documentaires et des pubs, mais pas que. On a discuté avec eux de leur carrière, et surtout, de la série FRANGINE$, réalisée et co-écrite par Laurent, avec Stefan Hougaerts et Anouchka Walewyk.

Retrouvez FRANGINE$ sur RTBF Auvio

Pouvez-vous revenir sur les débuts de votre carrière jusqu’à la création de Girafeo ?

Julien Charpentier : "J'ai étudié à l’école de cinéma INRACI. C’est là que je suis vraiment tombé amoureux de l'audiovisuel. À la base, je suis musicien mais ça n'a pas marché pour moi. J’ai fait un transfert vers le cinéma un peu sur le tard en me lançant en tant que freelance/caméraman/monteur. Je faisais des projets peu à droite à gauche et, assez vite, je me suis rendu compte que je n’arriverais pas à faire des projets suffisamment intéressants tout seul. J'ai donc eu rapidement envie de monter une structure. Pour cela, j’ai fait un petit cursus à l’ICHEC qui s'appelait Start PME où j'ai pu travaillé sur sur une stratégie et sur mon business model. J’ai vite compris qu’il me fallait un associé, mais je n’étais pas encore tombé sur la bonne personne." 

"Et puis, un jour, je suis allé dans un espace de coworking où j’ai rencontré Laurent. On s'est retrouvé sur un projet commun, une émission de la RTBF qui s'appelait 1001 belges. Laurent réalisait l’émission et moi, j’étais responsable de l'image. Il y a une bonne synergie qui s’est fait ressentir. Je lui ai présenté l'idée de créer quelque chose ensemble, c’est-à-dire Girafeo. À ce moment-là, un chouette contrat pour la réalisation d’une publicité nous a poussé à créer une structure, ce que nous devions faire pour obtenir le budget et réaliser ce film. Du coup, on s’est lancé !"

"On s'est dit que si jamais ça ne décollait pas tout de suite, on aurait au moins un projet concret qui nous permettrait de payer les salaires pendant les premiers mois. Finalement, tout s’est assez bien enchaîné."

Laurent Dryon : "Depuis le plus jeune âge, je dessine, je prends des photos et je filme avec la caméra de la famille. J'ai commencé mes études à l’IHECS en communication. Mes parents étaient plus rassurés que je fasse d'abord des études universitaires. À l’IHECS, j’ai pu toucher aux caméras, aux bandes de montage,... Ça m'a vraiment renforcé dans l'idée que j'avais envie de faire du cinéma. Je me suis donc inscrit ensuite à L'IAD. J'avais des connaissances qui avaient fait l’IAD en montage-scripte après l’IHECS et j’avais entendu que c’était une super bonne école. Je me suis lancé dans cette formation pendant 3 ans. L'école de cinéma, ça permet aussi de rencontrer des gens du milieu, et ça, c’est assez important pour les projets futurs. En sortant de l’IAD,  j'ai d'abord travaillé comme freelance, comme Julien, en tant que monteur sur des petits projets plutôt corporate et événementiels, avec toujours cette idée/envie de faire de la fiction. On s'est rendu compte très vite que c'était compliqué de vivre de la fiction car l'industrie en Belgique n’est pas très grande. Il y a beaucoup de projets pour peu d'élus." 

"Quand Julien est venu me proposer de monter une structure, il avait déjà réfléchi à Girafeo. Il connaissait un directeur de création, Jean-Charles de la Faille, qui nous a proposé de créer un spot vidéo pour ‘Mons 2015’, qui était alors la capitale culturelle européenne. C'était un budget suffisant pour créer une structure, on a donc créé Girafeo, la sprl, et puis on a commencé à réaliser des publicités. Grâce au fait que j’avais étudié à l’IHECS, j’ai pu contacter beaucoup d'amis qui étaient producteurs dans différentes agences. De fil en aiguille, on a commencé à produire pour eux, et puis aussi pour des sociétés." 

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Laurent, tu as réalisé la websérie FRANGINE$, qui est sorti en janvier sur la plateforme RTBF Auvio, et  dans laquelle Julien est le DOP,  comment a germé cette idée de websérie ?

Laurent : "J’avais toujours la fiction dans le coin de ma tête. J'ai continué à écrire sur le côté avec un ami de l’IHECS, Stefan Hougaerts. Avec Stefan, on écrit depuis plus de 10 ans. On a des paquets de concepts de scénario qui sont dans nos ordinateurs et qui ne demandent qu'à être sortis. J'ai un autre ami, Grégory Beghin, qui a réalisé BURKLAND, une des premières websérie de la RTBF sur laquelle j'étais assistant réalisateur et où Julien était chef opérateur. Via cette première expérience, on a réalisé qu’il y a une certaine liberté dans les webséries, ce qui nous correspond bien car on est fans de films de genre." 

"Avec ce format, on pouvait être beaucoup plus libre. On a donc décidé de développer FRANGINE$ qui est l'histoire de deux sœurs qui kidnappent leur père à la sortie de prison. On a proposé l’idée à la RTBF en 2016. On avait reçu à ce moment-là 10.000 euros pour réaliser un premier pilote qui avait été diffusé. La RTBF avait mis en place un concours où les gens votaient pour leur projet préféré. C'est la théorie du Y qui a gagné et que la RTBF a choisi de produire."

"Ensuite, les années passent vite, on a travaillé sur d’autres choses. En 2019, j'ai revu Stefan. À savoir qu’à l'époque, même si nous n’avions pas gagné, la RTBF nous a encouragé à développer le projet et à revenir les voir. Début 2020, on est retourné les voir avec le concept de FRANGINE$ et on leur a proposé de faire une saison entière. On a reçu une aide de 15.000 euros pour développer le projet, c’est-à-dire les arches, les personnages, les lieux et l'intention avec deux épisodes dialogués et les autres en synopsis d’une page. Et ils ont aimé le dossier !"

Quelles ont été les étapes suivantes dans le développement du projet ?

Laurent : "On s'est fait rejoindre par une scénariste, Anouchka Walewyk. Vu que nos héroïnes sont deux jeunes femmes, et que Stefan et moi, on n'a que des frères, il nous fallait une présence féminine dans l'écriture pour débloquer certaines choses. Le projet a alors pris une autre dimension. On a remis cette bible, comme on l’appelle, et après l’accord de la RTBF, on est parti en production. On a commencé à écrire les huit autres scénarios. C'est un travail assez long avec des allers-retours entre nous et la RTBF. Finalement, on a eu des versions définitives pour les dix épisodes. Malheureusement, on n'avait pas assez d'argent pour faire les dix, il y avait trop de personnages, trop de lieux. On a donc dû réécrire et diminuer à huit épisodes."

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Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a plus d'aides mises en place qu’avant dans le paysage belge francophone pour développer un projet de série ou de web série ?

Julien : "Il y a en tout cas plus de budget maintenant qu'il y a cinq ans, mais il y a aussi plus de concurrence. À l'époque, peu de personnes s’intéressaient aux formats courts. Maintenant, comme par exemple avec Pablo Andres et Guillaume, tout le monde a envie d'avoir un format un peu digital, humoristique ou de film de genre. Ce sont des accès rapides pour être produits. Un des gros problèmes, c'est que la structure classique prend tellement de temps que les gens s'épuisent et n'ont pas les moyens financiers de tenir."

Laurent : "C'est clair qu’ il y a une demande de contenu qui est énorme. Toutes les plateformes et les chaînes de télé, qui ont aussi leurs plateformes, ont besoin de contenus. Même Netflix achète maintenant des formats courts, du 15 ou 20 minutes. Qui sait, peut-être FRANGINE$ pourrait avoir sa place sur une plateforme comme celle-là."

Julien : "Aujourd'hui, la RTBF, avec par exemple la trêve ou ennemi public, produit et met en production beaucoup de choses même si parfois certains projets restent en phase de développement et n'arrivent pas au bout. On voit qu'il y a un engouement par rapport à la fiction qui est assez chouette." 

Laurent : "On remarque que, par rapport à d'autres pays européens ou à la Flandre, on reste dans des budgets qui sont quand même très limités. Je ne pourrais pas gagner ma vie avec des projets comme FRANGINE$. On a dû mettre en participation nos salaires. Dès que tu as une famille et un emprunt sur le dos, ça devient plus compliqué. Du coup, on est quand même obligé de faire de la publicité à côté. L'année passée, on a fait FRANGINE$ pendant la plupart de l’année et ça a été plus compliqué financièrement. L'argent n'arrive pas directement. On paye d'abord les techniciens et on passe en dernier. Et s’il ne reste plus d’argent, il n’en reste plus."

Julien : "Sur FRANGINE$, comme il n'y avait pas de budget pour les repérages, Laurent et moi avons  sillonné les décors et fait le découpage pendant les trois mois qui ont précédé le tournage. Si on devait budgétiser officiellement le projet, il serait bien plus élevé. Mais voilà, on a décidé qu'on ferait notre projet à fond."

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Vous avez évidemment l’habitude de travailler ensemble. Comment se sont passées les interactions entre vos deux rôles (réalisateur et DOP) sur le tournage de FRANGINE$ ? Comment avez-vous pris les directives sur l’approche artistique ?

Laurent : "On a les mêmes références de style et de série. Ça fait cinq ans qu'on bosse ensemble, on connaît bien le style de chacun et c'est pour ça, je pense, qu'on s’entend très bien. Sur FRANGINE$, on avait un style bien défini qui était inspiré des frères Cohen avec des focales assez larges, proches de nos personnages. On n'avait pas beaucoup d'argent, donc on ne savait pas faire des grosses installations, que ce soient des travellings ou des mouvements de grue. Je préfère le découpage de la caméra à l'épaule. On a beaucoup de plans qui sont installés, avec un vrai découpage. On a passé plusieurs mois ensemble à repérer les lieux et à découper chaque scène sur place. On regarde ce qui fonctionne, ce qui est beau avec les lumières naturelles du lieu." 

Julien : "On a quand même dû beaucoup recréer la lumière. Certains décors sont très beaux et naturels, comme les ambiances dans les bois et les extérieurs en général. En ce qui concerne les intérieurs, on voulait qu’ils aient un certain look au niveau de la découpe en travaillant la lumière en amont. Avec mon chef électro, on a pu, en peu de temps et de budget, arriver à faire une image très cinématographique, avec des références comme Benoît Debie avec les couleurs fluo, par exemple. On s'est laissé une très grande liberté dans notre collaboration. Laurent a dirigé les acteurs, forcément, et je n’ai jamais interférer là-dedans. De son côté, il me faisait une confiance aveugle par rapport à la lumière, etc. On a souvent travaillé chacun de notre côté lors de l'installation des scènes et on se retrouvait au moment de faire la prise."  

Laurent : "Oui, pour le cadre, on ajuste toujours ensemble ce qu'on trouve le plus joli en fonction de la lumière qui a été créée. On avait seulement 16 jours de tournage alors que d'habitude, les gens en ont 30 ou 40 pour un long métrage. Tout se joue dans la préparation. On a énormément discuté du scénario à l’avance. C’est ça qui était agréable pour l'équipe : arriver à un endroit où on sait exactement comment on va tourner la scène et où on n'est pas en train de faire la découpe le jour J."

Certains décors sont très beaux au naturel, comme les ambiances dans le bois et les extérieurs en général. En ce qui concerne les intérieurs, on voulait qu'ils dégagent immédiatement quelque chose, qu'ils aient un look !

Julien Charpentier

En dehors des enjeux budgétaires évoqués, à quels enjeux doit-on faire face lorsqu’on réalise une websérie avec un format court ?

Julien : "En tout cas, les points positifs, c'est la liberté de ton et le terrain de jeu de création. Ça nous permet de tester plein de choses sans avoir le poids d'un long métrage et d’une production énorme." 

Laurent : "C'est vrai que pour la websérie, on a une liberté totale et il n’y a pas du tout de pression d'audience. Il n'y a pas de suivi de la RTBF pour savoir combien de vues on fait sur la plateforme ou quoi que ce soit."

Julien : "Par contre, ils ont suivi tous les dialogues et il y a des choses qui ont dû être remaniées. Quand on parle de ‘liberté totale’, il y a quand même un contrôle. On ne peut pas dire ce qu'on veut et traiter tous les sujets n'importe comment. Mais on a eu une liberté esthétique." 

Laurent : "Ce qui est très compliqué du point de vue purement technique, c'est qu'il faut un cliff [cliffhanger] toutes les dix minutes pour que les spectateurs aient envie de regarder l'épisode suivant. Ça, c’est un enjeu dans l'écriture. Et puis aussi, ce qui est très compliqué en web série, c'est de faire en sorte que le spectateur s'attache aux personnages. C’est un des plus gros défis car tu as peu de temps pour installer des personnages, contrairement à un long métrage. Toute la back story est très courte. Dans toutes les webséries que j'avais vues ou auxquelles j'avais participé, ce qui me manquait, c'était l'identification aux personnages, et du coup, l’émotion. Je voulais que le spectateur soit ému." 

"Un autre enjeu, c’était la rapidité d'exécution sur le set, surtout qu’on avait beaucoup de lieux différents. On a fait un road movie sans avoir le budget pour faire des scènes en roulant. C'est donc un road movie où toutes les scènes sont tournées à l'arrêt. Au final, c'est un concept qu'on a trouvé assez drôle." 

"Par rapport à la promo également, c'est un challenge d’être livré sur une plateforme et d’être noyé au milieu d’énormément de contenu. Au final, FRANGINE$, si tu en entends pas parler, tu ne vas jamais aller voir. On est assez content car, par rapport à plein d'autres émissions, on a pas mal de vues. Une websérie, c'est aussi une carte de visite. Je pense que la RTBF est consciente de la qualité du projet. C'est d’ailleurs la première fois que la RTBF a un projet qui est racheté par un distributeur. France TV Distribution a racheté FRANGINE$ et ils vont normalement le distribuer à l'international. On compte aussi là-dessus pour la promotion." 

Julien : "En plus, la plateforme auvio, c’est géolocalisé. Ça signifie que les personnes qui habitent en France ou en Suisse ne peuvent pas la voir. Il n'y a pas cette possibilité que ça se répande dans les pays francophones en Europe. Ça se limite vraiment à Bruxelles et à la Wallonie pour l’instant. Par contre, en vendant le projet à l'international et si France TV met FRANGINE$ sur une de leurs plateformes, on pourrait dans quelques mois avoir un retour et qu’on reparle du projet en Belgique. Ça, ce serait évidemment idéal."

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Avec votre boîte de production Girafeo, vous produisez beaucoup de films publicitaires et documentaires, est-ce que ça vous plait de passer d’un style à l’autre ? D’où retirez vous le plus de satisfaction ?

Laurent : "Personnellement, en faisant de la fiction. C'est la première fois où je me dis que je suis vraiment en train de kiffer autant ce que je fais au travail. Après, quand je suis sur un plateau, j'aime toujours ! Mais pendant ces trois semaines de fiction, j'avais une énergie qui était différente, peut-être aussi parce qu'on ne l’avait jamais fait ensemble avec Julien."

Julien : "Je trouve le plaisir dans le fait de faire des choses différentes justement. Une année, on a pu traverser l'Atlantique et faire un documentaire sur un bateau. Après, on se retrouve à vendre du chocolat premium avec un brief très marketing et à filmer les produits, et puis à réaliser une série avec une équipe de 15, 20 personnes. C'est ça que j'adore dans ce boulot, le fait qu’ il y ait tout le temps des nouvelles choses qui se passent. Je pense que Laurent était plus attiré par la fiction de base, peut-être moi un peu plus réticent, mais là, ça m'a prouvé qu'il y avait moyen de faire des choses super cool dans la fiction et je serais surement plus motivé à en refaire. Par contre, pas exclusivement. Je pense qu'il faut qu'on garde cette palette de projets différents et que c'est ça la richesse de notre métier."

Laurent : "On prend notre kiffe dans chaque projet. Quand tu passes deux ans à écrire un projet et que tu le réalises, c'est une émotion qui est différente quand ça se termine. Par contre, ça bouffe une énergie pas possible. Dans la pub, ce qui est assez enrichissant, c'est que ton projet est concrétisé dans un laps de temps très court."

Quels conseils donneriez-vous à un débutant qui souhaite faire carrière en tant que réalisateur / DOP ?

Laurent : "C’est peut-être bateau, mais de ne jamais rien lâcher. Il y a beaucoup de jeunes qui m'appellent avec un scénario et qui me demandent de le produire. Finalement, nous, on a toujours produit nos propres projets. Pour commencer, il faut mettre les mains dans le cambouis et s’auto produire, se planter et recommencer. Et, à un moment, il y a un projet qui fonctionne, qui est vu par différentes personnes et la machine est lancée. Le plus compliqué, c'est de mettre le pied dans l'engrenage et de débuter. Lorsqu’on produit quelque chose qui est vu par d’autres personnes, le bouche à oreille fonctionne." 

"Il faut aussi avoir des rêves et y croire. J'espère toujours monter les marches de Cannes un jour, c’est dans le coin de ma tête (rires). Il faut s'accrocher parce que, financièrement, c'est chaud au début. C'est souvent pour cela que les gens lâchent. Ce qui est important également, c’est d’être touche à tout. On est parfois producteur et, de temps en temps, s'il faut prendre le son ou faire le montage, on va le faire nous-mêmes. On est des petits artisans."

Julien : "Je pourrais juste ajouter que je pense que le fait de trouver un bon partenaire, ça aide vraiment à se rassurer quand ça va moins bien et également pour les idées en général. À plusieurs moments, je pense que le fait d'avoir été à deux, ça nous a aidé. Il faut bien s'entourer de manière générale, mais au-delà de ça, être associé, je pense que c'est beaucoup plus facile que d'être indépendant dans ce secteur. Chacun a sa force. Il y a des choses dans lesquelles on est naturellement bons et trouver le bon partenaire, c’est aussi trouver la personne qui comble tout ce que tu ne sais pas faire." 

"C’est important d'être ouvert aussi. Nous allons accepter un projet même si ça correspond un peu moins à notre style. Ça va toujours apporter quelque chose et peut-être d’autres projets via le bouche-à-oreille."

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