Inside the company - Dreamwall

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Alice Gorissen, directrice, et Olivier Auquier, directeur artistique de Dreamwall Animation, nous ont détaillé le fonctionnement du studio, leur politique de projets, la dynamique d’équipe.

Pouvez-vous me présenter votre studio d’animation ?

Alice: "Le projet Dreamwall est né il y a 14 ans, de la volonté de créer un pôle autour de l’image, en réponse aux besoins de Dupuis et de la RTBF. Aujourd’hui, le studio d’animation s’investit sur de nombreux projets liés à Dupuis au travers de Belvision (producteur), mais sans exclusivité, le studio a plusieurs projets en cours avec d’autres producteurs. D’un autre côté, le pôle Media Solutions de Dreamwall, dirigé vers la réalité augmentée, les décors virtuels, les habillages TV, les vidéomappings, … travaille pour la RTBF et de nombreux clients à l’international."

Quelle place occupez-vous chez Dreamwall ?

Alice: "Olivier, présent depuis le début, est le “garant qualité” de tous nos projets. Il est aussi la pierre angulaire de la constitution des équipes, à l’arrivée d’un nouveau projet. Quand un projet nous est proposé, il évalue le temps qu’il va prendre en termes artistiques, en fonction des premiers éléments reçus: la bible graphique, l’animatique, éventuellement un story-board."

Olivier: "Je suis rentré en tant que chef décorateur, nous étions chargé de fabriquer les décors des dessins animés Cédric. Ensuite la société a évolué, les projets se sont diversifiés, de là est né le besoin d’un encadrement artistique au sens plus large. Je suis très présent au début d’un projet, et plus en pointillé quand le projet arrive à son rythme de croisière, nous avons une structure d’équipes leadées par des artistes seniors qui garantissent les enjeux artistiques au quotidien."

Alice: "Je suis arrivée il y a un an. J’ai pris la direction du studio d’animation. J’ai un rôle de gestion d’entreprise : gestion des ressources humaines, gestion financière, gestion juridique… mais aussi de suivi général des projets dès leur mise en place. Le studio avait beaucoup grandi et avait déjà de très belles réalisations à son actif. De belles réalisations et une équipe solide avec Olivier, mais aussi Jean-Michel Ballaux qui depuis une dizaine d’années gère et structure toutes les productions avec les chargés et assistants de production. Tout l’enjeu de ma fonction a été d’apporter une couche supplémentaire dans la structuration générale. Le fait de prospecter bien à l’avance, par exemple. En animation, il s’agit de prospecter un an à un an et demi à l’avance."

©Dreamwall
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Quels sont les moments charnières d’évolution de la boîte, depuis sa création ? 

Alice: "Les débuts étaient en mode start-up, Dreamwall occupait des locaux empruntés à la RTBF.  On est partis de cette énergie-là, et puis petit à petit les choses se sont structurées. L’arrivée des longs-métrages a représenté un grand tournant en termes de visibilité, de carte de visite par rapport à l’extérieur. Les longs-métrages circulent dans les Festivals: Loulou l’incroyable secret (2013) (1) aux Césars, La Tortue Rouge (2016) aux Oscars. Cette évolution du studio nous a permis de décrocher des séries de qualité comme Les Smurfs ou Petit Nicolas, tous en vacances, actuellement en production. Le long métrage La Tortue Rouge est plus pointu, la série Les Smurfs plus grand public. Pourtant, bien que d’un style différent, ces projets sont égaux en termes d’exigences artistiques et techniques.

"Cette exigence de qualité et les longs-métrages vont nous permettre de constituer des équipes, d’attirer des talents. Un des gros enjeux de notre métier est de pouvoir trouver les bons artistes-techniciens qui vont porter les projets pendant six mois, un an, un an et demi. Plus nos projets sont qualitatifs, plus ces artistes ont envie de venir travailler chez nous. C’est un cercle vertueux."

Olivier: "La valeur ajoutée peut être de plusieurs natures: esthétique, technologique, artistique, liée au message, aux valeurs véhiculées."

(1) Loulou l’incroyable secret a obtenu le César du Meilleur film d’animation en 2014; La Tortue Rouge a obtenu le prix spécial du Jury « Un Certain Regard » au Festival du film de Cannes en 2016, l’Annie Award « Best animated Feature – Independant » en 2017, et a été nominé aux Oscars 2017.

Travaillez-vous seul ou en coproduction? 

Alice: "Dreamwall ne travaille jamais seul, sauf pour des plus petits projets.

"Par essence, un projet de financement de série ou de long-métrage animé se fait toujours en coproduction avec au moins un autre pays, et c’est souvent la France. Les projets sont importants en termes de financement. Le nombre de jours pour pouvoir produire l’entièreté d’un long-métrage ou d’une série est extrêmement conséquent - et les budgets aussi!"

Quels métiers sont présents chez Dreamwall?

Alice: "Au plus fort de l’activité, on monte jusqu’à 100 collaborateurs dont une bonne partie est active sur le métier d’animation. L’année prochaine, nous travaillerons avec cinq équipes d’animateurs 3D, et trois à quatre équipes en 2D."

Olivier: "Nous réintégrerons aussi cette année au studio certains métiers de la chaîne de fabrication d’un projet d’animation, le rig, le layout, le character design, le décor, le compositing."

©Dreamwall
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Comment recrutez-vous vos talents ?

Olivier: "On aime bien la mixité au studio: mélanger artistes belges, et collaborateurs étrangers. Pour le recrutement, j’utilise beaucoup les réseaux, sur lesquels je peux faire savoir qu’on est en train de constituer des équipes : les groupes Facebook, LinkedIn, Artstation... 

"On reçoit aussi beaucoup de candidatures spontanées, des jeunes diplômés qui veulent rejoindre nos projets. On choisit les candidats en fonction de leurs compétences, de leur potentiel. Pour un animateur, les éléments clés sont le showreel, et leurs travaux d’études." 

Comment constituez-vous les équipes? Comment fonctionnent-elles?

Olivier: "On construit les équipes avec les leads, en fonction des projets, des plannings. Il faut maintenir un équilibre entre les gens expérimentés, d’autres qui le sont moins. Cela crée un processus de formation continue, de passage de témoins et de savoir-faire. Ensuite les affinités jouent, bien entendu."

Alice: "Chaque projet est suivi par un chargé.e de production. Il fait en sorte que tout soit prêt pour que les équipes puissent travailler dans de bonnes conditions. (2) Il suit aussi les aspects « prod » comme le planning, les jours consommés… Dans une série 3D classique, les quotas de production de l’animation sont de cinq, six, sept secondes par jour par artiste-animateur. Nous sommes sur des gros volumes, et tout peut vite basculer : si on fait en moyenne une seconde de moins sur la totalité du projet, c’est très impactant pour la marge. On doit y être très attentif. Cet indicateur est donc suivi avec attention." 

Olivier: "Les leads organisent et supervisent artistiquement le travail de leurs équipes. Ils sont également présents au moment des entretiens avec chaque artiste. Ce sont des moments d’échange sur le projet, sur les quotas, sur leur présence au sein du studio, des équipes, s’ils s’y sentent bien."

(2) Une équipe type compte environ huit personnes: sept animateurs et un lead, c’est-à-dire quelqu’un qui dirige l’équipe au niveau artistique

Est-il facile de maintenir un équilibre vie professionnelle-vie privée dans l’animation ?

Alice: "Les horaires dans l'animation ne sont pas réellement problématiques. C’est plutôt le fait de changer de studio, être mobile géographiquement, qui est contraignant. Devoir aller en France, au Canada, pour avoir du travail toute l’année. Cela peut décourager certaines personnes."

©charleroi-metropole.be
©charleroi-metropole.be

Pour fidéliser ces talents, comment vous y prenez-vous ?

Olivier: "Nous avons le souci de leur proposer des projets intéressants, challengeants.

"Nous installons aussi très vite une relation de confiance. Nos collaborateurs ont une mission à accomplir, on les aide à accomplir cette mission, sans être dans le surcontrôle. La seule contrainte est que le travail soit fait."

Alice: "On soigne aussi nos accueils, et nos départs. Les nouvelles recrues sont en général intégrées en tant que juniors dans une équipe et encadrées par un lead. On a un livret qui explique comment tout fonctionne chez nous, c’est un vrai confort de pouvoir immédiatement se concentrer sur sa mission. Cela fait partie de cette nouvelle structuration de la société Dreamwall mise en place depuis un an.

"Ce qui m’a marquée quand je suis arrivée au studio, c’est cette belle convivialité, cette bienveillance des uns envers les autres. Il y a une énergie présente, tout n’émane pas de la structure - il y a des choses qui se génèrent de l’intérieur. Des petites choses, comme le pot du vendredi, des cadeaux en mode “cacahuète postale”. On a un kicker, et un potager d’entreprise. Des liens se créent. Beaucoup aiment venir travailler chez nous pour cette chaleur-là. Dans les équipes, certains sont là depuis très longtemps. Ils sont les porteurs de ces valeurs.

"En plus de cette convivialité, il y a un côté très “enfant libre” dans le monde de l’animation, un côté ludique aussi. Les équipes sont très jeunes..."

Olivier: "Dans nos critères d’embauche, on recherche des collègues qui ont ce bon esprit, d’être collaboratif, d’être passionné par son métier, y compris dans les missions de lead. On a besoin de cette bienveillance, et de ne pas trop se prendre au sérieux. On ne prend pas de divas, on ne prend pas de tyrans. On recherche cette intelligence “émotionnelle”."

Alice: "La majorité de nos équipes travaille sous contrats intérimaires. On essaie de rester en contact avec nos animateurs, on prend le temps de communiquer sur les projets à venir et des métiers qui seront demandés. Notre volonté est d’essayer de fidéliser nos équipes en incitant à la polyvalence. Nous allons mettre un accent particulier sur la formation dans les trois années à venir. En ouvrant leur panel de compétences, nous pourrons proposer à nos animateurs du travail plus régulier."

Olivier: "On ne va pas faire d’un modeleur un animateur du jour au lendemain. Le but est plutôt la polyvalence au niveau des outils. Permettre à un animateur 2D de se former à Maya, ou l’inverse, se former à Toon Boom. On peut mettre ces choses en place, de manière à pouvoir aider les gens à rebondir de projet en projet: alterner projet 2D et 3D... C’est pareil pour le compositing par exemple. Il y a du compositing After Effect ou du compositing 3D. Le but est de ne jamais être freiné par l’outil et de valoriser les compétences."

Comment envisagez-vous la formation des équipes ?

Olivier: "Nous avons un partenariat avec Technocité, qui met en place dans le calendrier de l’année des formations qui nous permettront de mettre à niveau des candidats sur les outils. 

"Nous allons aussi mettre en place un processus interne : des workshops avec nos seniors qui partagent leurs « trucs » avec les juniors. Sinon cela se fait aussi en continu dans les équipes, les leads/seniors accompagnent les juniors au fur et à mesure du projet. Nous jouons aussi un rôle de facilitateur quand c’est possible comme accompagner un artiste qui veut se perfectionner dans un nouveau métier en lui prêtant une licence ou le guidant dans sa progression."

Alice: "On prend deux ou trois stagiaires maximum par an, car nous y mettons beaucoup d’énergie. Le stagiaire est encadré par l’équipe qu’il intègre, son stage vise à servir un véritable apprentissage."

©Dreamwall
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Pour parler de l’actualité… comment gardez-vous l’équipe motivée en temps de télétravail ?

Olivier: "C’est beaucoup de gif animés, tous les jours (rires)."

Alice: "Les outils que nous utilisons en télétravail existaient déjà partiellement avant la crise sanitaire : des flux, des chats, un par projet, et puis un chat global pour le studio. C’est maintenant plus structuré, intensifié. Le chat global du studio ressemble à l’arrivée dans notre paysager: certains disent bonjour, d’autres pas, certains arrivent très tôt, d’autres partent tard... ça dépend des personnalités. C’est la zone informelle du studio, recréée virtuellement.

"Par projet, il y a un espace qui pourrait s’apparenter à un espace réel, où chaque équipe occupe une zone. Certaines équipes travaillent en occupant le salon vocal de leur projet, donc ils entendent leurs collègues comme s’ils étaient dans la même pièce. Le chargé de production peut voir leurs petites icônes. Une équipe a installé un coin pause clope, un autre un coin machine à café. Quand ils veulent faire une petite pause, ils s’y déplacent virtuellement, ils peuvent causer. L’idée est de garder ce sentiment de travailler en équipe et pas tout seul chez soi.

"Beaucoup de nos animateurs sont des passionnés, ils ont souvent de bonnes machines à la maison. La bascule vers le télétravail a été relativement naturelle. Le télétravail était dans nos tiroirs depuis longtemps, le confinement nous a obligés à accélérer le processus en créant des environnements techniques dédiés à chaque projet (notre TD et nos IT ont fait un magnifique boulot). C’est un des ‘bénéfices’ de la crise."

Olivier: "Le télétravail représente pour nous une solution de flexibilité pour pouvoir recruter. Ça a été longtemps un frein de ne pas pouvoir proposer du télétravail à des gens qui habitent Anvers, Arlon, à des collaborateurs qui doivent aller chercher leurs enfants à l’école. C’est de la souplesse, du bien-être. Ils seront plus engagés sur les projets, car ils se sentiront mieux. C’est du win-win."

En guise de conclusion, quelles sont les grandes ambitions à venir ?

Alice: "La réouverture à plus de métiers, dont je parlais plus tôt. Le cœur de notre activité reste et restera l’animation, mais on a envie de pouvoir accueillir d’autres profils d’artistes au studio."

Olivier: "On sait qu’en Belgique, il y a d’excellents artistes pour le design, le modeling, le compositing, le story-boarding. On voudrait pouvoir intégrer ces profils-là en choisissant des projets qui le permettent."

Alice: "L’autre axe c’est de rester très agile par rapport aux enjeux du secteur en termes technologiques. Nous avons un directeur technique depuis plus d’un an, dont le rôle est de coder, à longueur de journée, pour améliorer les processus de production de nos artistes, les raccourcir. Cela passe par un gros travail de veille technologique. 

"Actuellement, beaucoup de choses bougent dans le secteur, avec l’arrivée de nouvelles technologies du jeu vidéo. Cela va influencer nos processus de production à court terme.

"Le troisième axe est autour de la politique d’équipe. C’est accueillir des talents en ayant des projets à haute valeur ajoutée. Et pouvoir les former en continu. Mettre en place un processus de formation qui les fait grandir, et qui nous fait grandir aussi." 

Quels sont vos projets artistiques pour 2021?

Alice: "On a une belle série à monstres en 2D qui arrive, Monster loving maniacs, une série coproduite avec le Danemark et portée côté belge par Belvision. On aura besoin d’équipes d’encadrement (chargé et lead) bilingues français-anglais, des animateurs et riggers. En 3D, il y a bien sûr la série Les Smurfs toute l’année, Petit Nicolas, tous en vacances  jusqu’à l’été suivie par la saison 2 de Famille Blaireau-Renard, l’histoire d’une famille recomposée (3D avec un rendu 2D)."

Olivier: "Sur Famille Blaireau-Renard, il n’y aura pas que de l’animation. On va créer du décor, du lay-out". 

Alice: "À partir de janvier on accueille aussi un plus petit projet qu’on est extrêmement contents d’héberger, une série documentaire de 30 épisodes pour ARTE, « Cherchez la femme », coproduite pour la partie belge par IOTA Production. L’animation en stop motion se fait dans un studio à Lille, nous intervenons sur la phase du compositing. Tous ces projets vont nous permettre d’attirer des métiers moins présents au studio."


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