Adopter une bonne attitude en matière de sécurité, un concept abstrait?

Veilig kunnen en willen werken.

Stijn Luyten est actif depuis déjà 25 ans en tant que Cameditor, sous la bannière de l’entreprise prestataire de services Videohouse. C’est un allrounder, un multitasker qui effectue aussi bien des missions en tant qu’ ENG ou EFP, pour lesquelles la combinaison de travail à la caméra et de montage d’images sont presque quotidiennement à l’ordre du jour.

En 2009, Stijn a eu un grave accident de travail et il partage son récit car il existe encore toujours un besoin d’amélioration de l’attitude à adopter sur le plan de pouvoir et vouloir travailler en sécurité. Travailler en sécurité demeure un concept abstrait pour beaucoup de travailleurs dans le secteur audiovisuel.

Que s’est-il précisément passé ce jour-là? 

Stijn: “J’ai fait une chute grave pendant le tournage d’un film d’entreprise. On peut qualifier les conséquences d’assez dramatiques: une fracture complexe du genou, une grave fracture du poignet, un coude cassé et la caméra qui s’est littéralement brisée entre mes mains. Cela s’est traduit en huit mois d’incapacité de travail et une revalidation intense. En principe, il est question de grave accident de travail dès le moment où vous faites une chute, indépendamment de sa hauteur. Dans mon cas, cela a été extrême, étant donné que je suis tombé de la fourche d’un chariot élévateur qui se trouvait à une hauteur de trois mètres. Je subis aujourd’hui encore les suites de cet accident, surtout au niveau de mon genou, qui me joue encore parfois des tours.“

Pouvoir et vouloir travailler en sécurité? Que?

La situation dans laquelle vous vous trouviez à l'époque comportait-elle un risque accru? Auriez-vous pu empêcher cela?

Stijn: “Dans un contexte ENG/EFP, nous visons, encore toujours, la prise de vue idéale. Les efforts pour obtenir cette image parfaite peuvent parfois aller assez loin et créer des situations dans lesquelles vous devez prendre une décision importante immédiatement. Et au moment de l’accident, nous avons mal estimé la situation ; avec mon expérience, je n'aurais pas dû aller me percher sur un chariot élévateur, un point c'est tout. J'ai supposé que je pouvais tourner cette prise de manière ‘sécurisée’. Une caisse avait été placée sur le chariot élévateur, je m’y suis assis avec mon trépied. Ce que dont nous n’avons toutefois pas tenu compte, c’est que la caisse elle-même n’était pas fixée à la fourche du chariot élévateur, avec toutes les conséquences qui en ont résulté.

"Nous aurions évidemment pu l’éviter. Ce que j’ai également surtout appris de cette situation, c’est qu’il faut prendre soi-même la responsabilité de contrôler de telles choses. Je n’en ai heureusement conservé aucun traumatisme, ma plus grande crainte m’est encore toujours inconnue (rire). Mais les conditions dans lesquelles je me trouve depuis lors au travail, je les évalue d’abord minutieusement. Parfois, je vais même contrôler moi-même. Suivre votre intuition est en cela le meilleur critère. Pour les missions multicam, j’ai gardé l’habitude de faire les prises de vues en hauteur. Pour les chaînes régionales, nous travaillons pendant certaines missions depuis une plate-forme élévatrice à nacelle, ce qui constitue le parfait exemple d’un environnement de travail sécurisé, étant donné que tout est conforme à la législation. Pour beaucoup, cela semble effrayant mais vous travaillez effectivement dans un ‘cadre sous contrôle’.

“Depuis 2008, cela s’est franchement amélioré dans les entreprises au niveau de la réglementation en matière de sécurité. Dans un environnement corporate, vous ne pouvez pas vous mettre au travail en tant qu’équipe du film, sans la présence d’un conseiller en sécurité. La législation est devenue plus stricte, responsabilités et assurances sont des facteurs importants. De manière générale, une surveillance plus rigoureuse est appliquée.”

Avez-vous remarqué qu'il y a davantage de concertation avec l'équipe de production aujourd'hui pour mieux évaluer les situations?

Stijn: “Là également, il existe une grande différence entre des missions news ‘ad hoc’, des missions ENG, où il reste souvent peu de temps pour discuter et des productions plus contrôlées en studio Le risque en matière de sécurité ne réside pas non plus toujours dans la situation en tant que telle. Prenez l’exemple du chariot élévateur. Vous choisissez vous-même de vouloir faire cette prise de vue en particulier. Mais vous vous retrouvez quelquefois dans des situations où vous n’avez tout simplement pas ce type de contrôle. Une manifestation, par exemple. Si vous vous trouvez du mauvais côté, le facteur de risque peut brusquement augmenter de façon exponentielle. Dans de tels moments, l’expérience et le bon sens jouent un rôle crucial. La frontière est parfois très difficile à évaluer. Qu’est-ce qui détermine le moment où vous dites stop et ce qu’attend le reporter ou le journaliste de son cameraman? Les manifestations récentes, souvent terribles, des gilets jaunes sont un bon exemple. Certains collègues déclarent très clairement qu'ils ne veulent pas se lancer seuls dans une telle mission. Cette décision finale est toujours prise individuellement.

“Les équipes ENG réduites à une personne priment aujourd’hui de plus en plus dans la production de news. Vous êtes dans ce cas plus sensible aux facteurs de risques, étant donné que vous devez opérer en solo, fréquemment dans des conditions difficiles. Vous n’avez pas de backup, pas de paire d’yeux dans le dos. Les jeunes professionnels, qui débutent souvent en tant que cam-jo, n'oseront peut-être pas toujours affirmer qu'une telle situation leur semble trop risquée. Ils viennent juste de commencer un travail et veulent souvent démontrer leur motivation à tout prix. ”

Suivre votre intuition est en cela le meilleur critère

Stijn Luyten - Cameditor chez Videohouse

Avez-vous remarqué une prise de conscience positive autour de la notion de “travailler en toute sécurité” dans le secteur audiovisuel?

Stijn: “Généralement, on réfléchit plus à propos de cette problématique, c’est un fait. L’environnement multicam/broadcast est en tout cas une donnée tout à fait à part, où une grande évolution est visible. Les riggers travaillant très en hauteur reçoivent la formation safety adaptée, on travaille toujours avec des chaussures de sécurité, des protections sur mesure pour les oreilles (audition) sont de plus en plus utilisées par les collègues. En ce sens, vous sentez un mouvement clair qui va dans la bonne direction. Le conseiller en prévention chez Videohouse renvoie les chefs d’équipe des différents départements à certaines règles de prévention effectivement adaptées. En comparaison avec le secteur des news, le volet prévention dans un environnement multicam est très bien organisé et constitue une histoire positive. Nous avons déjà envisagé de travailler avec des chaussures de sécurité au sein du département ENG, mais cette question est simplement difficile car dans neuf cas sur dix, on a pas besoin de ces chaussures (rires).”

Pouvoir et vouloir travailler en sécurité? Que?

Les techniciens du secteur audiovisuel font face à une forte pression de travail; multitâches et très courtes échéances sont leur lot quotidien. Pensez-vous que cela a un impact sur la manière dont les facteurs de risque sont évalués? L'esprit reste-t-il suffisamment vif pour les envisager clairement?

Stijn: “J’ai suffisamment d’expérience pour savoir à quoi je dois accorder la priorité, certainement s’il s’agit de la création d’une image et de la fournir à temps à la rédaction. 

Par le passé, par exemple, on s’attendait souvent à ce qu’un feu rouge soit ignoré, afin d’arriver à l’emplacement le plus rapidement possible. Ce n'est certainement plus le cas aujourd'hui, on s’est occupé du comportement ‘cow-boy’.

La forte variation d'âge au sein de notre entreprise (de 20 à 60 ans) a favorisé la bonne relation qui a grandi entre les plus âgés et les jeunes. Cette donnée, qui s’ajoute à la connaissance disponible concernant la gestion appropriée des situations précaires, porte ses fruits, car une grande partie des collègues ont participé à l’état d’esprit d’une autre époque et ils informent et guident la plus jeune génération. Un grand nombre de mes collègues ont maintenant des enfants et les responsabilités qui y sont liées. Quand je repense à mes débuts professionnels, nous y allions parfois de manière ‘sans réfléchir’, principalement car c'était alors considéré comme la norme."

Comment transmettez-vous vos connaissances aux nouvelles recrues sans avoir l'air pontifiant?

Stijn: “Je dirige constamment les gens et j'essaie d'aider les débutants à évaluer avec précision la situation, sans que le travail lui-même ne soit mis en danger. L'aspect ergonomique, par exemple, reste un point épineux qui nécessite une sensibilisation au cours du trajet de formation. Le matériel qu'une équipe composée d'un seul homme doit soulever et transporter reste toujours volumineux. Concernant les soins ergonomiques, étrangement, les choses ne se sont pas améliorées ces dernières années, principalement parce qu’on effectue plus souvent des missions individuellement.” 

Comment parvenez-vous à développer votre carrière de manière durable?

Stijn: "On aimerait faire le travail et en apprécier la variété. Surtout, la variation constante de mon travail me stimule énormément. Cela me maintient rigoureux et motivé. Aujourd'hui, je veille surtout à l'équilibre entre mon travail et ma vie personnelle, en essayant de ne pas rater les moments importants de ma vie privée. Un jour par semaine, je ne suis pas disponible pour travailler. D'un autre côté, ils peuvent toujours me contacter pour certaines missions et, en fonction du client et du contenu du travail, je veux bien déplacer ce jour de congé. Mais je souligne la “surveillance de l'équilibre travail-vie personnelle", cette pause de repos hebdomadaire est devenue cruciale pour moi. Vous obtenez une carrière durable en respectant un certain équilibre, ce qui est également important entre employeur et travailleur.”

Pouvoir et vouloir travailler en sécurité? Que?

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Bon à savoir

Il existe en Belgique un organisme officiel – la FEDRIS, l’Agence fédérale des risques professionnels - en charge (entre autres) du recensement du nombre d’accidents de travail dans tous les secteurs d’activités (entreprises privées et publiques).

La FEDRIS publie sur son site web de nombreux rapports et des statistiques détaillées, notamment par secteur d’activités, sur son site web. Les derniers chiffres disponibles sont valables pour 2018.

mediarte a jeté un coup d’œil sur ces documents et a rassemblé les informations pertinentes pour notre secteur.

Que nous apprennent les chiffres de l’année 2017?

  • Notre secteur comptait au total 100 accidents du travail. 66 dans les entreprises dépendant de la Commission Paritaire 227 et 34 dans celles dépendant de la Sous-Commission Paritaire 303.01

  • Parmi ces 66 accidents (CP 227) : 37 sont restés sans suite, 23 ont entraîné une incapacité de travail temporaire et 6 ont entraîné une incapacité permanente de travail. Pour les 34 accidents recensés dans la SCP 303.01 : 24 sont restés sans suite, 8 ont entraîné une incapacité de travail temporaire et 2 ont entraîné une incapacité permanente de travail.

  • Selon le type de travail effectué, les entreprises de la CP 227 comptent 63 accidents dans le cadre d’un travail intellectuel contre 3 dans le cadre d’un travail manuel.

  • Pour la CP 227, les chiffres varient selon l’âge des victimes comme suit : 11 chez les 15-24 ans, 45 chez les 25-49 ans et 10 chez les 50 ans et plus.

  • La répartition des accidents de travail par genre : 32 femmes et 34 hommes (CP 227) et 12 femmes et 22 hommes (SCP 303.01).

  • Pour la CP 227, le plus grand nombre d’accidents du travail se produisent dans les entreprises comptant entre 100 et 499 travailleurs (ETP ?). Mais il faut noter que les entreprises de moins de 10 travailleurs comptent elles 10 accidents.


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