
L’ASA (Association des Scénaristes de l’Audiovisuel-Belgique) est un groupement de scénaristes au service du scénario, des scénaristes et de leurs partenaires.
L’association s’adresse aux scénaristes de tous niveaux et souhaite favoriser l’information, les échanges et tisser des liens entre les individus, les professionnels et le public. Ses activités tournent actuellement autour du scénario de court métrage, de long métrage et de séries télévisées.
Nous avons été à la rencontre de Gilles de Voghel, scénariste et administrateur de l'ASA.
Combien d'administrateurs y a-t-il à l’ASA? Comment collaborez-vous et quels sont les différents projets que vous poursuivez ?
Gilles: "Nous sommes douze administratrices et administrateurs, dont la présidente Aurélie Wijnants. Nous nous réunissons une fois par mois en conseil d’administration. Nous y faisons le suivi de tous les projets et dossiers en cours et nous nous consultons pour prendre les décisions importantes. Nous avons créé des pôles pour avancer plus rapidement sur certains dossiers. Pour cela, nous créons organiquement des petits groupes au sein du conseil d'administration. Il existe, entre autres, un pôle “Europe” (en collaboration avec la FSE, la fédération européenne des scénaristes) , un pôle autour de la politique belge, un pôle pour soutenir les scénaristes émergent·e·s, un pôle sur le podcast, un pôle “RTBF” (pour entretenir une collaboration et des liens fructueux avec la chaîne de télévision publique), etc."
Le métier accède enfin à une certaine reconnaissance. Nous sommes aujourd’hui payés pour développer, pour écrire. C'est assez neuf dans notre paysage audiovisuel.
"Un des projets importants de l’ASA est l’information et la formation autour du métier de scénariste. Nous organisons des masterclass, des podcasts, des cours. On essaie de responsabiliser les scénaristes dans leur formation. On organise avec l'ASA et avec la Scenaristengilde en Flandre des rencontres avec des scénaristes expérimenté·e·s. On est aussi présents aux événements, par exemple au festival Are You Series de Bozar où l’on fait venir des “stars” des séries en partenariat avec le Festival. On organise aussi des concours de Pitch au BIFFF (Festival International du Film Fantastique de Bruxelles) et au BRIFF (Brussels International Film Festival). Nous organisons un concours de scénario avec script-doctoring à la clé au BSFF (Brussels Short Film Festival)."
"L’ASA poursuit aussi un but politique. Nous sommes présents dans les discussions autour du statut d’artiste avec Pro Spere. Pro Spere, ce sont plusieurs fédérations qui se sont rassemblées pour discuter, entre autres, du statut d’artiste et pour faire valoir les droits des créateur·trice·s et interprètes de l’audiovisuel."
"À l'Europe, nous mutualisons nos efforts avec la Fédération des Scénaristes Européens, la FSE. Nous travaillons en ce moment sur le copyright, un gros dossier. Nous essayons de faire appliquer la directive européenne du copyright en Belgique. Cela pourrait nous permettre d’avoir des armes contre les plateformes de streaming qui sont peu régulées et versent peu de droits pour la diffusion de nos contenus sur leurs plateformes."
"Un autre de nos combats politiques est la SMA. Cette directive européenne a pour but de forcer les diffuseurs quels qu'ils soient (plateformes, chaînes, …) à réinvestir une partie du pourcentage de leur chiffre d'affaires dans la production audiovisuelle. Nous négocions avec l'UPFF (Union des Producteurs de Films Francophones), avec l’ARRF (l’Union des réalisateurs), pour une reconnaissance du bienfait général de réinvestir de l'argent dans le cinéma, dans les séries belges. En Belgique, nous sommes à la traîne au niveau du pourcentage consenti."
"Nous travaillons aussi au niveau belge. Nous avons incité la Fédération Wallonie-Bruxelles à revoir ses conditions pour déposer un projet de film. Aujourd'hui, les scénaristes peuvent bénéficier d’une aide à l’écriture avant le développement d’un projet. On s’est battus pendant des années pour que cette aide à l’écriture soit accordée et cela après le dépôt d’un dossier plus succinct. Nous sommes très contents car cela donne la possibilité à certain·e·s scénaristes de travailler en étant enfin payé·e·s."
À l'Europe, nous mutualisons nos efforts avec la Fédération des Scénaristes Européens, la FSE. Nous travaillons en ce moment sur le copyright, un gros dossier. Nous essayons de faire appliquer la directive européenne du copyright en Belgique.
Y a-t-il de nombreux scénaristes en Belgique qui vivent de leur métier à part entière ?
Gilles: "Ça reste difficile. Avec le développement du fonds des séries de la RTBF, il y a une tournante de professionnel·le·s qui commencent à travailler de plus en plus. À l’ASA, nous avons constaté un développement du nombre d’adhérent·e·s — nous avons une centaine de membres aujourd’hui. Les écoles belges (l’IAD, l’INSAS) proposent maintenant des masters en écriture, ce qui n'existait pas avant. Ces écoles forment chaque année de nouveaux et nouvelles scénaristes qui arrivent sur le marché. C’était un manque. C'est très encourageant, on a plus de jeunes formé·e·s au scénario, mais cela crée aussi de la concurrence, comme dans tous les métiers artistiques."
"Depuis le lancement du fond des séries de la RTBF, nous voyons une professionnalisation et aussi une extension de la profession en Belgique, puisque chaque projet de série est en général composé de groupes de deux, trois, quatre voire cinq scénaristes. Ces gens doivent se former sur le tas car ils n'ont bien souvent pas d'expérience en séries. Pour l'instant, il y a plus d’une quinzaine de projets en cours à la RTBF. Cela fait pas mal de scénaristes payé·e·s pour développer des projets. Le métier accède enfin à une certaine reconnaissance. Nous sommes aujourd’hui payé·e·s pour développer, pour écrire. C'est assez neuf dans notre paysage audiovisuel. Tous ces scénaristes doivent forcément se rencontrer, se parler, et défendre leur place de scénariste vis-à-vis d'une chaîne de télévision, de producteur·ice·s ou de diffuseurs. Nous essayons de développer le meilleur type de collaboration avec la RTBF. Ils donnent la chance à des jeunes scénaristes qui ne sont pas forcément “banquable” ou qui n'ont pas encore écrit de format sériel. C'est quand même assez rare en Europe. C’était le cas pour Ennemi public, nous n'avions jamais rien écrit d’important. Même chose pour La Trêve, ou pour Pandore par exemple."
"À l’ASA, une de nos missions est de mettre les scénaristes en réseau. Le plus grand danger pour un scénariste, c'est de s’isoler. Il y a une sorte de mythe autour du scénariste, seul·e devant sa machine à écrire. Les scénaristes d’aujourd'hui travaillent beaucoup en équipe."

Comment construis-tu ton réseau? Comment vient-on te solliciter ?
Gilles: "J’ai travaillé intensément sur Ennemi public depuis 2013 et j'ai enchaîné les saisons. Je n'ai pas eu vraiment l'occasion de travailler sur autre chose. J'ai fait en revanche du script doctoring sur certains projets. Certain·e·s scénaristes que je croise, ou que je connais, m’interpellent pour une relecture de leur projet. Je l'ai fait plusieurs fois, entre des saisons d’Ennemi public."
"J'ai eu la chance de travailler sur Ennemi public, qui a assez bien marché. Quand vous êtes associé·e à une série qui a plutôt bien fonctionné, votre nom commence à circuler. Cela m’a permis d’être assez bien sollicité et de ne pas craindre l'avenir. C’est par contre plus difficile pour un·e jeune auteur·trice d’acquérir un réseau, de l’expérience. Les télévisions, comme les productions, veulent être rassurées. Une opportunité est de rencontrer de jeunes réalisateurs ou réalisatrices qui veulent collaborer avec quelqu'un pour écrire le scénario de leur premier film. Si le courant passe bien, ils ou elles feront certainement appel à vous pour la suite."
"Un autre moyen de se créer un réseau, c’est de faire des stages dans les writers rooms. Il y a également une formation axée sur l’écriture de séries à l’INSAS. Cette très bonne formation donne immédiatement les clés pour écrire des séries. L’idée est de former des équipes qui elles-mêmes vont prendre en leur sein des stagiaires qui eux-mêmes vont apprendre le métier. C'est la plus-value de ce type d'ateliers d'écriture, cet effet boule de neige et la professionnalisation générale du métier."
Pourquoi les séries sont-elles devenues l’espace de création des scénaristes ?
Gilles: "L'avantage des séries, c'est que lorsque le projet d’un·e· scénariste est sélectionné par la RTBF ou une autre chaîne, le ou la scénariste devient garant·e de la série : c'est normalement sa vision de la série qui va aboutir. À toutes les étapes, il ou elle restera maître·sse du projet, ce qui n'est pas le cas sur un long-métrage. Dans le cas des longs-métrages, c’est le réalisateur ou la réalisatrice qui vient solliciter le scénariste en lui amenant ses idées. Il y aura peut-être de la co-écriture. À la fin du projet, le ou la scénariste sera devenu·e invisible. Sur le générique d’une série ou d’un film, le nom du réalisateur.trice est mentionné en grand alors qu’il ou elle a parfois débarqué sur la série pour réaliser uniquement trois épisodes. Toutes les autres personnes sont vraiment rendues invisibles. En France, on a beaucoup parlé de l’invisibilité des scénaristes. On en a un peu parlé en Belgique, mais en France la revendication est encore plus forte, car il y a des sommes d'argent monumentales en jeu."

Heureusement, certain·e·s scénaristes acquièrent de la renommée. Je pense par exemple à Fanny Herrero, de la série Dix pour cent.
Gilles: "C'est typiquement le profil de la showrunner qui a les clés du projet en main jusqu'au bout. Elle a dû s'imposer. Ça a été très compliqué pour qu’elle obtienne ce poste. En France, les producteur·trice·s sont très réticent·e·s à cela. De la même façon, les producteur·trice·s belges sont aussi très frileux à l'idée que des scénaristes deviennent tout à coup directeurs ou directrices artistiques, réalisateurs ou réalisatrices, ou juste de leur donner du poids dans les décisions. Pour les producteur·trice·s, c'est autant d'étapes et de décisions où il peut y avoir une divergence de points de vue. Qu’une personne ait autant de pouvoir dans un projet leur fait très peur. Pourtant, aux États-Unis ou dans des grands pays où il y a de très grandes séries, on permet aux auteurs et autrices qui créent un projet de mener leur expression artistique jusqu'au bout. Les auteurs et autrices sont beaucoup plus mis en avant. En Belgique, peut-être à cause de l'influence de la France, le réalisateur ou la réalisatrice reste sur le devant de la scène."
C'est la culture de l'auteur-réalisateur ?
Gilles: "Avec l’ASA, on essaie de faire en sorte que les réalisateur·trice·s arrêtent de penser que le scénario qu’ils réalisent doit être à tout prix le leur. De tout temps avant la Nouvelle Vague, le cinéma était le fruit d’une collaboration entre des scénaristes et des réalisateur·trice·s. Il faut pouvoir collaborer à nouveau, faire confiance au talent qu’ont les scénaristes de coucher sur papier des idées pour qu'elles prennent la forme d’une histoire. En Belgique, on est très forts pour faire de beaux personnages, de belles situations. Je pense personnellement que nous manquons un peu de dramaturgie, d’histoires, ou plutôt de la générosité des histoires qui rassemblent les gens autour d'un feu pour les écouter. C'est ce que pourraient amener les scénaristes et leur développement en Belgique."