Entretien avec Priscilla Adade

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À la Rencontre de Priscilla Adade : Actrice, Réalisatrice, Productrice et Fondatrice de PRYSM, une entreprise sociale féministe et panafricaine qui met les femmes en valeur à travers divers projets et médias.

Pourriez-vous nous parler un peu de vous en quelques lignes ?

Priscilla : Je suis togolaise, béninoise, ghanéenne et belge. Je suis née et j'ai grandi en Belgique. J'ai toujours eu une passion pour le jeu, le cinéma, le théâtre, la musique et tout ce qui est créatif. Mais comme beaucoup de parents, mes parents m'ont demandé de faire des études « traditionnelles » avant de m'embarquer dans ce monde-là. Ils avaient aussi une vision très claire du monde dans lequel ils vivaient et me disaient : "Mais tu sais, il n'y a pas de noirs à la télé, donc ça va être compliqué ce que tu veux entreprendre". Ils avaient raison. Pourtant, aujourd’hui, je suis actrice, productrice, réalisatrice et je vais bientôt devenir scénariste. Je suis aussi professeure et j'adore ça ; j'enseigne le jeu. J'ai commencé au Cours Florent à Bruxelles et maintenant je donne cours à Goma en RDC. À part ça, j'adore surfer et voyager. Je passe ma vie à voyager quand je ne travaille pas ! Même quand je travaille, je continue à voyager, parfois. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur PRYSM ? Quels types de projets PRYSM promeut-il pour mettre en valeur les femmes et les afro-descendant.es à travers ses activités et médias ?

Priscilla : J'habitais en Angleterre et je suis revenue en Belgique en 2015. J'avais besoin d'un endroit où c'était autre chose que le jeu en tant que tel. Ça a commencé d'abord par une plateforme où j'écrivais des articles, je faisais quelques événements féminins, je testais un peu. Puis, petit à petit, PRYSM s'est créée d'elle-même comme la plateforme/maison de production de projets féministes et panafricains qu’elle est aujourd’hui. Le nom PRYSM vient d’un surnom qu'un être cher me donnait quand on était ado. J’ai trouvé ce nom parfait car il me représente mais aussi nous représente parfaitement. Je voulais mettre en valeur toutes nos facettes, toute notre diversité, celle des femmes et des africains : nous sommes des diamants avec pleins de facettes différentes. Chez PRYSM, je suis plutôt productrice et réalisatrice ; projet par projet, en fonction de mon métier et du temps que j'ai. Pour l'instant, j’ai produit la campagne “Actrices Afro-descendantes” avec PRYSM. Avant ça, il y a eu le projet “Voices of Panzi”, la formation de podcasting avec les survivantes de viols de guerre en RD Congo à Panzi, à Bukavu avec la Fondation Panzi du Docteur Mukwege, pour lequel je travaille toujours pour la levée de fonds. Et j’ai aussi fait mon propre podcast Elle m'inspire

Un des premiers projets s’appelait "PRYSM ON THE GO". J'avais mis des livres féministes dans les transports en commun bruxellois. Je m'étais inspirée d'une initiative similaire londonienne et j'avais déposé des livres avec un petit mot qui disait : “prenez-le, lisez-le et ramenez-le dans un transport pour que quelqu'un d'autre puisse en profiter”. C'était vachement ludique. J'aurais voulu continuer, mais après le covid, c'était très compliqué.

On nous fait croire que de pouvoir faire ce métier, c'est déjà un honneur. Mais les rôles qu'on nous propose sont rarement riches. Il y a peu de matière, peu de scènes, le personnage est vachement stéréotypé.

Priscilla Adade

En tant qu’actrice et entrepreneuse, quelles sont les motivations qui vous ont poussée à lancer une campagne pour la visibilisation des actrices et comédiennes afro-descendantes ?

Priscilla : C'est vraiment venu de ma propre expérience. J'ai eu beaucoup de chance. Je suis assez privilégiée, malgré ma double peine d'être une femme noire en Europe. J’ai fait des super études, j'étais dans de superbes écoles, j'ai eu plein de prix... Après je suis allée dans la deuxième meilleure école de théâtre anglaise à la LAMDA. Pourtant, quand je suis sortie, on ne me proposait pas les mêmes rôles que mes collègues blanches aussi douées que moi. Même si mes parents m'avaient prévenu et que je savais un petit peu à quoi m’attendre, j'avoue que c'était un choc. 

Quand j'habitais en Londres, le mouvement "Act for Change" venait de reprendre suite au retrait des quotas. En fait, après avoir introduit les quotas, ils les avaient retirés, ce qui avait entraîné une chute de la diversité dans l'audiovisuel. J'étais déjà dans ce mouvement-là puis j’ai vraiment commencé à me poser des questions plus ciblées sur les actrices elles-mêmes quand je suis revenue en Belgique. En rencontrant certaines d'entre elles, je me suis rendue compte qu’en Belgique, on ne se connaissait pas. A Londres, au moins, on se connaissait entre actrices afrodescendantes.

Ici, je voyais que personne ne connaissait personne. On se rencontre dans les couloirs des directeurs et directrices de casting, en mode compétition. Mais à l'extérieur, personne ne se rencontre, on ne se connaît pratiquement pas. Et pour le grand public c’est pire. Évidemment moi je peux citer plein d'actrices afrodescendantes, mais le grand public ne peut pas, même une seule, c'est hyper difficile. Quand je demande à mon entourage, ils disent : “Il y a toi.” Mais à part moi … ? Iels ne peuvent pas en citer.  C'est hyper violent ! Malgré tout, on joue. On ne joue pas beaucoup, on ne joue pas tout le temps, mais on joue. 

On nous fait croire que de pouvoir faire ce métier, c'est déjà un honneur. Mais les rôles qu'on nous propose sont rarement riches. Il y a peu de matière, peu de scènes, le personnage est vachement stéréotypé. C'est une réalité toujours d'actualité alors qu'on est quand même en 2023 ! Moi je suis née, j'ai grandi à Braine-l'Alleud, j'étais à l'École Européenne, j'ai vécu dans cinq pays, je parle plusieurs langues et jamais un personnage ne me ressemble à l'écran en Belgique. Pourtant je connais plein d’ afro-descendantes comme moi. Nous ne sommes pas rares ! Mais on nous montre toujours avec des rôles d'immigrée, d'infirmière, de femme de ménage, d'agent numéro deux... En prenant tous ces constats en compte, j'ai décidé de répondre à des appels à projet de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Equal brussels pour pouvoir financer ce projet. Déjà pour se retrouver entre nous, se rencontrer. 

On s'est rencontré plusieurs fois, c'était hyper salvateur. Enfin, ça faisait tellement du bien. C'était hyper émouvant. Pour une fois, on pouvait se raconter ce qui nous était arrivé et voir que nous ne sommes pas seules, qu’il nous arrive à toutes la même chose. Ensuite, on a fait ce film et cette séance photo. La séance photo c'est un peu mon kiff. J'ai grandi avec la culture afro-américaine : Oprah Winfrey, Viola Davis, les Kerry Washington, etc. J'avais envie qu'on se fasse plaisir et qu'on se sublime, qu'on puisse vraiment montrer toute notre beauté. C'était le leitmotiv du photoshoot. Par contre, le documentaire était une invitation à raconter la réalité du métier : dénoncer, partager avec le grand public ce qui se passe dans nos métiers, parce que les gens ne s'en rendent pas compte. Je crois qu'ils ne pourraient pas imaginer qu'on vit tout ça. Je me suis vachement inspireé de "Noir n'est pas mon métier" qu’Aïssa Maïga avait lancé en France, ainsi que de "Ouvrir la voie" d'Amandine Gay. 

Réunir 26 actrices pour un documentaire est une étape significative. Comment avez-vous réussi à les impliquer dans ce projet ?
Ce n’était vraiment pas difficile, j'avais une liste de 40. C'était au niveau des disponibilités que c’était plus compliqué. Mais tout le monde avait vraiment envie de venir. Quelques personnes n'ont pas accepté l'invitation, mais la majorité oui. Elles étaient ravies parce que ce genre d'initiative n'existe pas, alors qu’on en a vraiment besoin. Je pense que, déjà à la base, on ne nous écoute pas beaucoup, nous, les femmes. On ne nous donne pas trop le micro. Mon podcast Elle m’inspire, inspiré de La Poudre de Lauren Bastide, cherchait à tendre un micro à une femme pendant 1h sans l'interrompre, ce que les médias traditionels ne font pas. Et les femmes noires, quand leur a-t-on tendu un micro pour parler d’elles pour la dernière fois ? C'est hyper rare. Tout le monde avait envie de participer ! Au montage, c’était assez difficile parce que je devais faire un documentaire de 20 minutes avec 26 actrices. Le calcul est vite fait, je n'ai pas pu tout garder. On voit tout le monde mais on n'entend pas toutes les anecdotes. C'est le documentaire, c'est comme ça. Et puis, je n'ai pas l'ambition de régler le problème de l'audiovisuel belge à moi toute seule en 20 minutes. Quelque part, je fais ma part et j’espère que ça donnera l’impulse à d’autres de nous tendre le micro.

J'avais envie qu'on se fasse plaisir et qu'on se sublime, qu'on puisse vraiment montrer toute notre beauté. C'était le leitmotiv du photoshoot. Par contre, le documentaire était une invitation à raconter la réalité du métier...

Priscilla Adade

Quel impact ces initiatives pourraient-elles avoir sur l'industrie du divertissement et la représentation des femmes afrodescendantes dans les médias ? 

Personnellement, j'ai toujours dit que je voulais être actrice pour changer le monde, et je ne savais pas pourquoi. Je le disais quand j'étais jeune, mais c’est maintenant que je commence à voir pourquoi. Je suis persuadée que si on arrive à changer la représentation des femmes noires, africaines - parce que ce n’est pas que noir, c'est aussi nord africain, et donc panafricain -, si on arrive à changer nos représentations à l'écran, qu'elles soient plus justes, plus vraies, plus riches, plus intéressantes, cela impactera l’imaginaire des gens. Ça impactera la vision que les gens ont sur nous, et je suis persuadée que ça réduira le racisme dans le pays. Ça ne le réglera pas, il y a plein d'autres choses à faire. Mais je crois que pour lutter pour des causes, il faut se battre sur beaucoup de fronts différents. J'aimerais qu'on puisse dire qu'on a réussi à changer ça, pour le bien de la société. 

C'est aussi important que les enfants, les jeunes femmes, filles, afrodescendantes puissent se voir et nous voir dans nos médias. Moi je n'avais pas de référence et heureusement que je suis bilingue anglais. J'ai regardé plus de contenus anglo-saxons quand j'étais petite. Les gens regardaient le prince de Bel-Air, le Cosby Show, mais à part ça, quelles étaients les séries ou films belges où les noirs étaient représentés comme nous sommes vraiment ? C’est représentations sont primordiales : il faut montrer que les actrices afrodescendantes existent et que à travers elles les histoires des afro-descendant.es sont racontées, qu'iels sont vues et qu'iels ont de l'importance. C'est important pour la confiance en soi, pour vivre ses rêves, pour savoir que tout est possible. Autant que c’est important que les enfants blancs se voient représentés, les enfants africains méritent les mêmes droits.

Il y a un aussi un impact pour nous, dans notre milieu. En tant qu’actrices afrodescendantes, on vit mal dans ce milieu, on y est mal traitées. Maintenant qu'on a dénoncé ça, j'aimerais vraiment que les prod’, les scénaristes, les réalisatrices nous écrivent et nous proposent des rôles dignes de nous, de nos histoires, de toutes les années d'études qu'on a fait, et dignes de notre talent. Je veux qu'ils se disent : “c'est vrai, pourquoi raconte-t-on toujours ces mêmes histoires ?” Souvent, on nous donne comme conseils de faire nos propres projets. Moi j'adore faire plein de choses, mais il y en a qui sont simplement actrices et c'est très bien. Et puis, pour celles qui veulent faire leurs propres projets, qu'on leur donne les moyens. Il y a un plafond de verre. On nous dit de faire nos projets, mais on nous donne des moitiés de budget pour faire des films aussi bons que les autres. Ce n’est pas juste. C'est pour cela que c’est hyper important que ça change, que les politiques et les commissions de films se rendent compte de ce problème et fassent quelque chose de concret, que de l'argent soit alloué à ces projets. Moi, je suis pro quota parce que ça fait trop longtemps que c’est comme ça. Les gens n’ont clairement pas envie de changer, c'est un système. Ce milieu génère énormément d'argent donc, évidemment, les gens n’ont pas envie de céder leur place. Tant pis, il faut forcer la porte.

© Gilles Njaheut

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