2022, une année déterminante pour l’Association des Réalisateurs et Réalisatrices Francophones

ARRF

Créée en 2002, l’Association des Réalisateurs et Réalisatrices Francophones (ARRF) est la seule association professionnelle représentant spécifiquement les réalisateurs et réalisatrices résidant en - ou issus de - la Communauté française de Belgique. Nous avons rencontré le réalisateur André Buytaers, ancien président de l'ARRF et, actuellement, membre du Conseil d'administration au sein de l'association. Il est actuellement co-Président de Pro Spere avec Aurélie Wijnants.

L’Association des Réalisateurs et Réalisatrices Francophones a été créée en 2002. Quelles sont les personnes à l’origine de sa création ?

André Buytaers: "La fondation de l’ARRF est due à l’idée de voir la place officielle du réalisateur reconnue dans le processus de l’organisation générale de la production. En effet, ce sont les années nonante qui voient le début de la commission du film en tant que telle, et telle qu'on la connaît aujourd'hui, initiée par Henri Ingberg à la Fédération. À ce moment-là, on se rend compte que le réalisateur n'a pas vraiment de place alors qu'il est souvent coproducteur, ou en tout cas initiateur de projets, et qu'il faut absolument lui trouver un rôle dans notre paysage audiovisuel en construction. Les frères Dardenne, Jaco Van Dormael, Jean-Jacques Andrien, Jean-Jacques Péché et Frédéric Sojcher vont se retrouver et réfléchir ensemble. Une grande réunion a lieu à l'hôtel Métropole pendant laquelle se fonde l’ARRF."

À quels besoins voulait répondre l’ARRF à sa création ?

André:
"Une vraie réflexion de fond a été entreprise. Une charte est rédigée par Jean-Claude Batz, le producteur d'André Delvaux à l’époque et aussi l’un des fondateurs de l’INSAS. Avec Jean-Claude, ils réfléchissent à mettre au point un acte fondateur de l'association. Ce point est d’ailleurs toujours là et on demande à chaque membre de le signer parce que la première phrase est vraiment très importante : “Le réalisateur est un auteur à part entière”. Contrairement à, et encore plus aujourd'hui,  une notion de dire que le réalisateur n'est qu'un simple technicien. Ça, c’est le fondement qui sous tend toute l'action de l’ARRF depuis vingt ans. La plupart d'entre nous sommes co-scénaristes de nos films. Nous sommes à la base de nos documentaires. Donc, ça a vraiment du sens. Depuis sa fondation, et l’intitulé de l’association, il y a une réelle volonté de mettre la parité en avant. Le Conseil d’administration a toujours essayé d’être paritaire. L’ARRF soutient d’ailleurs toutes les initiatives et opportunités pour la parité dans le secteur audiovisuel."

Ce point est d’ailleurs toujours là et on demande à chaque membre de le signer parce que la première phrase est vraiment très importante : “Le réalisateur est un auteur à part entière”.

— André Buytaers

"Bien sûr, il a fallu faire reconnaître l’ARRF dans les instances, ce qui a pris pas mal de temps. Très officiellement, ce n'est intervenu qu'il y a maintenant quatre, cinq ans. Auparavant, l’ARRF était sous l'ombrelle de Pro Spere. C'est avec le nouveau décret qui a été mis en place par la ministre Greoli, il y a deux ans, que l'ARRF est devenue une fédération à part entière."

Quel est votre rôle au sein de l’ARRF ? Pourquoi est-il important pour vous de vous y impliquer ?

André:  "J'ai été président pendant une dizaine d'années et je suis actuellement au Conseil d'administration parce que je pense qu'il est important d'avoir ce lien avec Pro Spere*. Je porte uniquement, avec Maya Duverdier, le dossier européen. Nous avons des liens avec les autres sociétés de réalisateurs en Europe à travers la FERA (Fédération Européenne des réalisateurs de l’Audiovisuel). J'ai donc gardé ce dossier-là et je fais aussi le relais par rapport à Pro Spere. Pour une question d'indépendance par rapport à l’ARRF et aussi par rapport à Pro Spere, je suis un peu en retrait."

*André Buytaers est co-président de Pro Spere.

Notre but pour 2022, c'est d'arriver à boucler ces dossiers de manière constructive pour les réalisateurs, et pour les auteurs de manière générale.

— André Buytaers

L'ARRF a fixé une série d’objectifs précis pour la législature 2019-2024 détaillés à travers un Mémorandum. Pourriez-vous nous parler des points essentiels ? Quels sont ceux qui vont occuper le plus l’ARRF en 2022 ?

André: "En 2022, ce sont pratiquement les mêmes objectifs à ceci près qu'il y a une donnée qui n'était pas connue à l'époque et qui vient tout bouleverser. C'est le fameux décret SMA (Service de médias audiovisuels), un décret européen qui doit trouver une application en droit belge et qui va faire que, entre autres, les opérateurs étrangers, les plateformes comme Netflix par exemple, vont devoir contribuer à la production locale."

"Dans la déclaration d'intention que nous avions faite en 2019, les points essentiels sont principalement le Tax Shelter, les fonds régionaux, le financement de la commission du film et aussi la RTBF. Nous avons plus que jamais les mains dans le cambouis parce que le décret SMA est en pleine discussion. Nous avons travaillé en Chambre de concertation avec les producteurs et nous sommes arrivés à un accord sous l'égide du cabinet. Nous avons fait une proposition très ambitieuse, très forte, qui génère tout le reste."

"Un afflux d'argent relativement important, environ 10 millions, risque d'arriver sur le marché. Comment va-t-on les gérer, et surtout, comment nos productions vont-elles pouvoir en profiter convenablement ? Dans la note que nous avons rentré, qui est actuellement en examen auprès du CSA, on donne des incitants pour que l’argent soit dirigé vers des productions de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Donc, vers nos auteurs et nos réalisateurs."

"Aujourd’hui, le plus gros contributeur, c'est probablement RTL. Qu'il soit belge avec le rachat par Rossel/DPG ou qu'il reste étranger, il va devoir contribuer. On s'aperçoit que la somme que va devoir investir RTL dans les productions sera bien supérieure à celle de la RTBF. Or, on va maintenant discuter du contrat de gestion de la RTBF puisque c'est cette année que sera mis en place un nouveau contrat pour 2023-2027. C'est très important que les choses puissent s'équilibrer. Ça signifie qu’au niveau politique, il faut une vraie volonté d'augmenter la part des coproductions à la RTBF et de la mettre au niveau de RTL, par exemple, ou de Netflix. On se rend compte que tout ça tourne ensemble et qu'il faut absolument trouver une homogénéité."

"Notre but pour 2022, c'est d'arriver à boucler ces dossiers de manière constructive pour les réalisateurs, et pour les auteurs de manière générale."

"Ça veut dire aussi que la commission du film ne peut pas rester à 10 millions. Nous plaidons pour la remettre aussi au niveau des autres, sans quoi ça ne va pas fonctionner et la commission risque de perdre tout crédit. Or, c'est la jambe culturelle dont nous avons besoin puisque les fonds régionaux sont vraiment tournés vers la production pure, vers le financier. Le choix culturel est là, et il est important qu'il soit renforcé."

"J’arrive donc au dernier point : le tax shelter. Il représente pour nous une opportunité, mais comme j'ai coutume de dire : “on a vu passer le train”. C'est-à-dire qu'on remarque que les sommes investies sont largement supérieures dans les films dits minoritaires, voire des coproductions dans lesquelles pratiquement aucun de nos comédiens, de nos techniciens et encore moins un de nos réalisateurs ou scénaristes n'apparaît. Ça ne peut pas continuer comme ça. Même si le volume financier a augmenté et qu'il a mieux structuré nos productions, aujourd'hui, il est à 18%. C'est très bas. Même les producteurs qui en ont besoin pour les films minoritaires, qui sont des films qui permettent de faire bouillir la marmite d'une société de production, admettent que ce n'est pas tenable. Voici les points qui avaient été déterminés et qui sont aujourd'hui encore plus que jamais d'actualité. À ceci près qu’on aurait jamais pensé, il y a deux ans, qu'on aurait ce momentum politique."

Masterclass - Terry Gilliam
MASTERCLASS ORGANISÉE PAR L'ARRF © MARC MELKENBEEK

L’association est également impliquée dans la réforme du statut d'artiste.

André: "Effectivement, c’est un point important qui s’est ajouté. Le statut de l'artiste est aussi en pleine discussion. C'est un combat dans lequel beaucoup d'entre nous se sont très fort investis parce qu' ils sont aux statuts. Le fait que l'ONEM soit l'employeur des réalisateurs, ça ne fonctionne pas. L'ONEM n'est pas un employeur et les restrictions qui sont appliquées aux réalisateurs ne correspondent strictement pas à la réalité ni du marché, ni du métier, ni à la manière dont fonctionne notre métier. Il y a là quelque chose qui est intermittent par essence même, et il faut vraiment s'inscrire dedans. Les discussions ont progressé. Certaines avancées sont positives, d’autres nettement moins intéressantes. Mais en tout cas, l’ARRF est assez en pointe sur ce dossier parce qu'il touche vraiment beaucoup de nos membres. À savoir que nous comptons aujourd’hui environ 250 membres effectifs."

Ici, on a beaucoup parlé de politique, mais ce n'est pas que ça ! C'est aussi un retour vers les membres, une attente et une écoute des membres, de leurs envies et de leurs pulsions.

— André Buytaers

Une des missions est également de faire respecter leurs intérêts et droits professionnels, sociaux, économiques et culturels.  Est-ce que ces intérêts sont menacés, plus encore en temps de pandémie ?

André: "La production cinématographique a relativement peu souffert parce qu’on s’est assez vite battu. Dans un premier temps, la ministre a mis en place des ponts et ensuite on s'est battu avec les producteurs pour la reprise des tournages. Il faut reconnaître que, dès juin 2020, les choses se sont remises en place. Après bien sûr, cela ralentit le travail. Ça le rend plus pesant. Sur les tournages, il y a eu un impact qui, heureusement, a été assez limité. Aujourd'hui, on tourne presque normalement."

"Par contre, là où on a été impacté, c'est sur la sortie des films. Les films qui étaient prêts ou qui devaient sortir quand les cinémas étaient fermés. On le voit par exemple avec le film de Stéphane Strecker (L’ennemi) qui sort seulement maintenant. C'est un film dont la sortie a été postposée de nombreuses fois. Ça a été aussi le cas du film de Raphaël Balboni et d’Ann Sirot, par exemple. Fort heureusement, ils sont parvenus à émerger. C'est clairement sur l’aval qu’il y a la plus grosse difficulté."

"À un autre niveau, on constate un déplacement des envies de consommation du cinéma de manière générale. La durée de mise en place sur les plateformes se réduit. Il y a, au niveau de la chronologie des médias, de nouvelles normes qui se mettent en place, notamment en France. On est assez liés, donc, en général, ça suit chez nous. Il y avait une pression qui commençait déjà à se faire, et c'est clairement avec celle du confinement que tous ces nouveaux usages ont pris de l'ampleur et qu'on se retrouve à devoir renégocier complètement la manière dont les films sont distribués."

"Également, à un moment donné, pas mal de nos membres ont été hors radar. Certains n’ont pas obtenu le statut car l'ONEM avait très fortement restreint l'accès cette dernière année. Il y a eu quand même pas mal de réalisateurs dans ce cas-là. C'était très difficile parce que, légalement, la ministre ne pouvait pas mettre en place des aides pour des gens qui ne sont pas officiellement catalogués ou répertoriés auprès de la fédération. Ça a donc été pour nous un vrai problème de pouvoir répondre à leurs demandes."

Comment le Conseil d’administration s’implique-t-il dans la vie quotidienne de l’ARRF ?

André: "Le Conseil d'administration, c'est l'équipe permanente. Les moyens étant ce qu'ils sont. L’ARRF a été très longtemps dépendante des sociétés de gestion collective, c'est-à-dire de la SACD-SCAM et la SABAM. Depuis le nouveau décret, puisque c'est une fédération reconnue, il y a un subside, lié à la représentation, qui est versé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ça va un peu mieux mais ce ne sont pas des fonds suffisants même avec les cotisations pour arriver à avoir, par exemple un délégué, un secrétaire général, ou quelqu'un qui pourrait s'occuper de la gestion quotidienne. Donc, c'est tout le Conseil d'administration qui prend chacun un dossier en main ou des dossiers en main, et qui est qui le(s) porte(nt). Vous l'aurez compris, il est fort important que ceux qui siègent à la Chambre de concertation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou à Pro Spere soient assez présents et portent les dossiers parce que c'est le retour institutionnel et politique qui doit nourrir l'association et qui fait aussi les points de réflexion."

"Depuis maintenant quelques années, il n'y a plus de président, ni de secrétaire. L’ARRF fonctionne de manière organique. Chacun arrive avec son dossier et fait le point. Et à partir de là, il y a des discussions autour des dossiers. Ce serait vraiment une aide formidable d'avoir quelqu'un qui gère le quotidien, surtout quand il est aussi lourd que pour le moment. Qui dit momentum, dit aussi feu de forêt. Ça n'a pas toujours été comme ça, il y a des années beaucoup plus calmes, mais 2022 est vraiment une année importante."

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MEMBRES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION 2021-2022 © ARRF

Vous voulez également défendre la liberté artistique et morale des réalisateurs ? Est-il facile d’exercer cette liberté aujourd’hui en Belgique ?

André: "Ce sont des dossiers sur lesquels on s'est battu effectivement, notamment il y a quelques années. C'est une question qui revient régulièrement. On parlait du film de Stéphane Strecker : ça part d'un fait divers connu, avec une personnalité connue, simplement sa liberté artistique c'est d'avoir pris une facette et de s’éloigner complètement de l'histoire de Bernard Wesphael. C'est une question fondamentale, surtout quand on voit la restriction de liberté, de parole et la manière dont on essaie aujourd'hui de contingenter, de structurer la parole. Quand on voit la place que prennent les plateformes avec des lignes éditoriales, ce n'est pas simple de garder une liberté d'expression et de création en arpentant des territoires qui sont inconnus. On nous bassine souvent avec ‘les nouvelles écritures’, mais, souvent, ce sont des formes de standardisation pour des programmes qui sont destinés à un certain public et qui font fi d'une vraie recherche d'écriture, d'une vraie recherche d'expression. En cela, oui, c'est un combat. Un combat que l'on continue à mener, bien sûr."

"Ici, on a beaucoup parlé de politique, mais ce n'est pas que ça ! C'est aussi un retour vers les membres, une attente et une écoute des membres, de leurs envies et de leurs pulsions. De savoir qu'est ce qui aujourd'hui guide nos réalisateurs ? Quels sont les sujets qui les portent ? Quels sont les sujets qui les interpellent ? Quels sont les sujets qui leur font peur ? Ou, quels sont les sujets auxquels ils n'osent même pas toucher ? On sait très bien qu'en Belgique, les films de genre, ce n'est pas évident à monter. D’ailleurs, en Belgique francophone, les films politiques, il n'y en a quasi pas. Ce sont, par exemple, des moyens d'expression qui ne sont pas simples, qu’il faut imposer. On a de plus en plus de réalisateurs qui s'inscrivent dans le film de genre et qui ont du mal à trouver leur place, alors que pourtant on sait qu'il y a un vrai public pour cela. On nous oppose aux attentes du public. Mais les réalisateurs sont du public et les producteurs aussi. On sent tous qu'est ce qui pourrait plaire. On ne fait pas des films que pour soi, on fait des films pour le public, évidemment. Et ça, parfois, les décideurs l'oublient ou ne veulent pas le savoir, et nous opposent des réflexions, je dirais, plus commerciales. Pourtant, on sait très bien qu'il y a des exceptions. Ce sont les grandes exceptions qui font les grands succès."

"Ça reste en tout cas un combat et une priorité pour nous. Le réalisateur est un auteur à part entière. Et ça veut tout dire quand on dit ça, je pense."

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